Immigration en Belgique: l'histoire des Italiens
Propos de Maria Laura Franciosi, journaliste italienne et auteur du livre «...pour un sac de charbon» (ACLI, 1996)


L'immigration Italienne en Belgique n'est pas faite seulement de« valises de carton », les valises liées avec de la ficelle que les émigrés amenaient quand ils partaient pour chercher un travail à l'étranger.

Bien avant les valises de carton il y a eu en Belgique les marchands et les banquiers Lombards, Florentins, Génois, ... qui fréquentaient le territoire qu'on appelait alors les Flandres déjà au début du XIII siècle. Leur souvenir est encore très vif comme peuvent témoigner ceux d'entre vous qui ont participé à la Procession du Saint Sang à Bruges où les banquiers Italiens de l'époque ont la place d'honneur parmi les personnages historiques qui défilent le long de la ville. On les voit avancer dans leurs costumes en velours et soie, les cols et chapeaux en fourrure en compagnie des aristocrates Flamands de l'époque.

Banquiers et marchands avaient su bien gérer leurs finances, surtout pour le commerce des tissus, la laine de l'Angleterre, la soie et le damas de l'Orient. Les marchands Italiens étaient présents en Angleterre et en France, en Espagne et en Orient. Même les écrivains Italiens de la Renaissance décrivaient la vie dans d'autres pays qu'ils avaient connu et ou ils avaient vécu. Ludovico Guicciardini, historien contemporain de Machiavelli, avait travaillé à Anvers qu'il décrivait comme un modèle pour les villes de l'époque. Et la Falconplein, un terrain à l'époque à la périphérie de Anvers, avait été donnée par le roi Jean III de Brabant au directeur de son Hôtel des Monnaies, un Italien nommé Falco de Lampage.

La première association Italienne en Belgique fut «l'Académie des Confus», un cercle littéraire crée par les Génois qui n'a rien à voir à la confusion (un défaut dont quelques fois on accuse les Italiens) mais qui relève du verbe «confondre» c'est-à-dire «mélanger, métisser». Déjà en 1500 on se préoccupait alors de se rencontrer avec écrivains et artistes de Belgique. Et c'est alors que les échanges entre peintres de Belgique et Italiens commencèrent. L'intensification des échanges
culturels entre les deux pays porta à la création à Rome d'une importante école d'art dont on peut admirer les ouvrages dans les musées du monde.


Culture et commerce, alors. Voilà les premières raisons pour les Italiens de quitter leur terre d'origine. Jusqu'au XIXème siècle, surtout âpres la naissance de la Belgique en 1830, les échanges deviennent plus politiques. La Belgique devient le lieu d'accueil de gens qui n'étaient pas acceptés par les régimes autoritaires qui gouvernaient l'Italie et étaient forcés de s'éloigner. Beaucoup d'entre eux créèrent des «salons littéraires» pour Belges, Italiens et étrangers. Les idées de quelques uns des «patriotes» Italiens auraient même aidé les patriotes de Belgique dans la création de leur pays. Mais déjà à la fin du XIXème siècle on signale la présence de travailleurs Italiens émigrés à Bruxelles et à Liège. Pour l'Italie c'est le début de la grande émigration. L'émigration intellectuelle continuera - c'est à cette époque que s'ouvre le salon littéraire de Isabella Errera - et on renforcera les liens commerciaux. En 1899 naquit la Chambre de Commerce Italienne en Belgique mais la présence de travailleurs sera à l'origine de la création de sociétés mutuelles italiennes et sociétés de bienfaisance pour aider les émigrés italiens en difficulté, surtout les musiciens voyageurs.

C'est en 1888 qu'arriva un des premiers mineurs Italiens dans une mine belge. Léonard Louis BertoIlin était un ramoneur de 18 ans qui venait de la Vallée d'Aoste. L'hiver était arrivé tôt cette année là et le ramoneur était encore en Belgique où il était arrivé à pied au début de l'été comme les années précédentes. On l'accueillit à la mine de Bois du Luc près de La Louvière. Il y resta jusqu'à sa mort. A Liège la naissance de l'industrie sidérurgique dans la deuxième moitié du XIXème siècle créa un flux d'immigration de l'Italie d'ouvriers spécialises. Mais l'arrivée des refugiés politiques continue surtout vers la fin du siècle, après les répressions violentes du Général Bava Beccaris qui étouffa les mouvements des « Fasci Siciliani » en 1898. Avec les immigrés arrivent aussi les religieux et les sociétés de culture. En 1905 à Liège s'ouvre la première section de la Société Dante Alighieri pour l'enseignement de la langue Italienne surtout aux étudiants d'ingénierie qui iront travailler dans les entreprises belges installées en Italie comme la société pour les Tramways de Naples qui bâtit la ligne de tram de Naples en 1875. Un groupe d'Italiens est actif l'époque a Bruxelles dans la création de la Nouvelle Université, une branche dissidente de l'Université de Bruxelles. Une présence qui, d'après les historiens, a eu «des conséquences importantes dans la création de liens étroits et durables entre les socialistes Belges et Italiens».
Un autre cercle littéraire dans les premières décennies du XXème siècle fut celui de Francesco Luigi Ferrari, militant du Parti Populaire de Don Luigi Sturzo qui recueillit les rescapés du régime fasciste de Mussolini. Sa maison et sa personne devinrent la liaison de cette élite italienne que le fascisme avait forcé sur la route de l'exil. De Belgique ils cherchaient à mettre leurs compatriotes en garde contre le danger du Fascisme.

En 1944 fut crée en Belgique le «Comité de Libération Nationale» qui eut un rôle très important dans l'assistance aux Italiens. C'est grâce a son activité que furent établis les contacts qui amenèrent le 23 juin 1946 à la signature de l'accord d'émigration entre Belgique et Italie pour l'envoi de mineurs Italiens dans les mines de Belgique. La Belgique avait besoin de la main d'oeuvre Italienne pour gagner sa «bataille du charbon», l'Italie avait besoin des salaires des émigrés pour faire face à la crise d'après la guerre et du charbon pour relancer sa renaissance industrielle. L'accord indiquait les quantités de charbon à envoyer en Italie à des prix convenables sur la base du charbon produit par chaque mineur. Le lien entre travailleur et charbon à exporter était très clair.
Les mineurs pouvaient travailler seulement dans les mines. S'ils refusaient, c'était la prison, le Petit Château et puis le renvoi en Italie. Le permis de travail B ne leur permettait pas de s'engager dans d'autres activités que celle minière pour les cinq premières années de leur séjour en Belgique. C'est seulement après cette période que d'autres activités étaient autorisées.
Après la catastrophe du Bois du Cazier a Marcinelle, le 8 aout 1956, avec le décès de 262 mineurs, dont 136 desquels étaient italiens, l'émigration «officielle» de l'Italie fut interrompue. Mais les travailleurs continuèrent il arriver car il était encore difficile de trouver un travail en Italie. A cette époque il y aura aussi l'arrivée de mineurs d'autres pays: Grèce, Espagne, Portugal, Turquie et même de l'Afrique du Nord. Les conditions de travail s'améliorèrent grâce aussi à la création de la CECA, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, le premier pas vers la création du Marché Commun et de l'Union Européenne. Beaucoup de mineurs peuvent toucher leur pension grâce aux lois de la CECA. L'exploitation des mines ne sera plus rentable. Les mines commencent à fermer, en Wallonie avant tout (la dernière mine sera fermée en 1982), puis dans le Limbourg. En 1993 la dernière mine de Belgique sera fermée, c'est la mine de Zolder. Mais pour beaucoup des mineurs ce sera une vie de malades, touchés comme ils étaient par la silicose, una maladie des poumons due à la poussière que la Belgique reconnut comme maladie professionnelle seulement en 1963. Les victimes de la silicose seront des milliers.

Malgré la fermeture des mines, l'immigration en Belgique a continué. D'Italie et d'autres pays de l'Europe et de l'Afrique. Maintenant les Italiens sont le groupe d'étrangers les plus nombreux de Belgique, 360.000 personnes sans compter les naturalisés. Plus que 6000 d'entre eux travaillent pour les Communautés Européennes. Et ils sont aussi le groupe maintenant le plus intégré. Il y a parmi vous des enfants et petits enfants des immigrés dont je vous ai parlé, non seulement des mineurs mais de toutes les autres professions que les Italiens ont poursuivi en Belgique. Vous voilà devenus partie essentielle de la société belge, intégrés, et peut être aussi désireux de vous faire connaitre comme citoyens européens.